Procès de Georges Tron : dans les coulisses d’une affaire sensible

Le Parisien – publié le 11 décembre 2017

Le procès de Georges Tron, maire de Draveil, et de Brigitte Gruel, son ex-adjointe, s’ouvre ce mardi devant la cour d’assises de Bobigny. Accusés de viols et d’agressions sexuelles aggravés sur deux anciennes employées municipales, ils ont toujours nié les faits. 

Le procès de Georges Tron, 60 ans, maire LR de Draveil (Essonne), et de Brigitte Gruel, 60 ans, son ex-adjointe à la culture, s’ouvre ce mardi devant la cour d’assises de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Ils sont soupçonnés de viols et d’agressions sexuelles aggravés sur deux anciennes employées municipales, entre mai 2007 et janvier 2010. Retour sur les coulisses d’une affaire sensible.

En mai 2011, l’actualité est saturée par l’affaire DSK. Le 14, Dominique Strauss-Kahn a été interpellé dans un avion à l’aéroport John-F.-Kennedy aux Etats-Unis. Une femme de ménage du Sofitel de New York vient de l’accuser d’agression sexuelle. L’onde de choc est énorme. Inculpé, le favori des sondages pour la présidentielle de 2012 est placé en détention. DSK, qui plaide non coupable, obtient sa libération sous caution. Il est assigné à résidence et obligé de porter un bracelet électronique…

C’est dans ce contexte que nous apprenons au Parisien que deux femmes s’apprêteraient à porter plainte pour harcèlement sexuel contre un membre du gouvernement Fillon. En creusant cette information, nous découvrons qu’il s’agit de Georges Tron, secrétaire d’Etat à la Fonction publique et maire (UMP) de Draveil (Essonne). Il serait question de dérapages sous couvert de réflexologie plantaire, massages thérapeutiques des pieds dont l’édile est un grand adepte.

Les plaignantes sont deux anciennes employées municipales. Eva L.et Virginie F. accusent le maire de Draveil, mais aussi son ex-adjointe à la Culture, Brigitte Gruel. Elles ont pris comme conseil Me Gilbert Collard, ténor du barreau qui préside depuis peu le comité de soutien à Marine Le Pen pour 2012. Une grande radio est au courant. Il faut vérifier rapidement cette histoire de plainte, sans rien sacrifier à la rigueur.

Il se dit victime d’une «camarilla»

Le mardi 24 mai, nous sommes prêts. Nous avons rencontré Virginie F., qui assure que l’affaire DSK a été pour elle l’ultime déclic. «Quand je vois qu’une petite femme de ménage est capable de s’attaquer à Dominique Strauss-Kahn, je me dis que je n’ai pas le droit de me taire», indique-t-elle au Parisien. Et le choix de Me Collard ? «Je cherchais un avocat médiatique qui avait du courage», justifie Virginie F.

Par ailleurs, la plainte a été envoyée au parquet d’Evry (Essonne) la veille. Et bien sûr, nous avons contacté Georges Tron. «C’est délirant !» s’exclame-t-il en réagissant aux accusations de harcèlement sexuel. «Des dossiers ont été constitués. Dans les deux cas, j’ai des éléments démontrant que leur démarche est inspirée par une vengeance personnelle», nous affirme encore Georges Tron au sujet de ses deux ex-collaboratrices, plus jeunes que lui, et son ex-adjointe. Il se dit enfin victime d’une «camarilla» (groupe de personnes influentes), en pointant déjà l’extrême droite et des rivaux locaux à Draveil, dont Philippe Olivier, beau-frère de Marine Le Pen. L’affaire s’annonce sensible. «Vous êtes sûr de vous ?» questionne le directeur de la rédaction du Parisien de l’époque. Nous le sommes.

Démission du gouvernement

Le 25 mai, le journal consacre une page à cette affaire. Un scoop. La radio sur les rangs n’a pas sorti le sujet. Jusqu’à la mi-journée, aucun autre média n’embraye. Grand moment de solitude. Et puis, l’information tombe : la procureure d’Evry confirme l’existence de la plainte et ouvre une enquête préliminaire. Tout va très vite. «Si les faits dénoncés sont établis, ils seraient susceptibles de recevoir la qualification d’agression sexuelle et de viol», estime même la magistrate.

Les plaignantes sont entendues par la police judiciaire. A Draveil, on ne parle plus que de «l’affaire Tron». Sa position au gouvernement devient intenable. L’élu dénonce une machination orchestrée par le FN, Me Collard dément tout lien avec le parti lepéniste. Le 29 mai, le secrétaire d’Etat à la fonction publique démissionne.

Machination

Cette procédure, instruite à Evry, va être marquée par des tensions et émaillée de rebondissements. Dès le départ, Me Olivier Schnerb*, brillant pénaliste choisi par Georges Tron, annonce que «ce dossier se terminera par un non-lieu». Son client, mis en examen en juin 2011 pour viols et agressions sexuelles aggravés, tout comme Brigitte Gruel, clame son innocence et dénonce une machination ourdie par l’extrême droite. Ce qui va cristalliser bien des tensions.

«Je ferai tomber les gens qui ont monté ce coup-là», déclare-t-il, le 18 mai 2012, dans Le Parisien, une semaine après sa confrontation marathon avec les parties civiles où chacun a maintenu sa position et estime avoir déstabilisé l’autre. L’édile a même diffusé un tract développant sa thèse du complot. De nouveau visé, Philippe Olivier qualifie cette opinion de «délire paranoïaque». Rencontrée en mai 2012 à Draveil, Marie-Caroline Le Pen, son épouse, nous confie, plus qu’agacée : «Que Georges Tron arrête de mêler ma famille à cette affaire !»

La thèse du complot «ni confirmée ni infirmée»

Les juges se sont penchés sur cet aspect du dossier. «La thèse du complot n’a pu être ni confirmée ni infirmée par les éléments au dossier», ont conclu les deux magistrats qui ont accordé un non-lieu à Georges Tron et à Brigitte Gruel. Sur le même point, les juges qui ont par la suite renvoyé le maire et son ex-adjointe devant la cour d’assises notent que «la surmédiatisation de la révélation des faits par Virginie F. et Eva L. (…) prête à question». Mais ils ajoutent : «Il demeure qu’objectivement, les faits n’étaient pas récents et qu’ainsi, au-delà de l’effet d’aubaine qui a pu être exploité par des tiers, les plaignantes en ce qu’elles ne se sont pas précipitées pour les porter sur la place publique et n’ont ni l’une ni l’autre un profil partisan, sont d’autant moins suspectes de calculs politiques». A coup sûr, la question du complot sera à nouveau débattu lors du procès de Bobigny.

Des pressions exercées sur les plaignantes

Une autre source de tension est liée à des pressions que les plaignantes auraient subies. Objectif : les discréditer. Les magistrats qui ont ordonné le renvoi des deux accusés l’écrivent clairement pour l’une d’elles : «Le dossier fait ressortir que des pressions ont été exercées sur Virginie F., ou les témoins, par le maire ou ses proches.» Au printemps 2013, les avocats des plaignantes avaient déposé plainte pour subornation de témoin. Le juge d’instruction d’Evry chargé de ce volet, dans lequel Georges Tron nie toute pression et bénéficie du statut de témoin assisté, a signifié début septembre la fin de son enquête. L’avocat de Virginie F., Me Vincent Ollivier, vient toutefois de déposer une demande d’acte supplémentaire, à savoir l’audition d’autres témoins.

Réflexologie plantaire

Enfin, l’issue de la procédure a recelé son lot de surprises. D’abord excellentes pour Georges Tron et Brigitte Gruel. Le 15 mai 2013, le parquet d’Evry requiert un non-lieu pour les deux mis en examen. Au terme d’une analyse fouillée, le procureur soutient que «les approximations existant au niveau des faits tels que dénoncés par la partie civile, certaines des contradictions relevées et certains constats établis ne permettent pas de caractériser suffisamment les infractions».

Lavé de très graves accusations, Georges Tron se fait malgré tout étriller par le procureur quant à sa pratique de la réflexologie plantaire, qu’il a pu, malgré ses dénégations, «imposer principalement à des femmes venant solliciter son aide ou travaillant sous son autorité». Le magistrat parle de comportement «totalement inapproprié». Mais il n’y a rien qui puisse tomber sous le coup de la loi pénale. Là encore, la question de la réflexologie plantaire sera abordée à Bobigny. Et celle de la morale va certainement animé les débats…

«Le coup de théâtre s’est produit»

Le climat reste au beau fixe, le 9 décembre 2013, quand les deux juges d’instruction rendent un non-lieu en faveur de Georges Tron et Brigitte Gruel. Les parties civiles, elle, sont abattues mais ne renoncent pas. Me Yaël Mellul fait appel pour Eva L., Me Vincent Ollivier, pour Virginie F. Tout va se jouer devant la chambre de l’instruction de Paris. A l’audience, l’avocat général réclame la confimation du non- lieu. La date de l’arrêt est fixée au 16 décembre 2014. La veille, nous appelons Me Olivier Schnerb. «Sauf coup de théâtre demain, nous serons bien sûr preneurs d’une interview de M.Tron sur son non-lieu définitif», prévenons-nous l’avocat.

Le 14 décembre, juste après l’heure du déjeuner, Me Schnerb nous laisse un message vocal. Laconique : «Le coup de théâtre dont vous parliez hier s’est produit. La chambre de l’instruction a infirmé le non-lieu. Pas d’autre commentaire.» Contre toute attente, les magistrats de la cour d’appel ont eu une tout autre lecture du même dossier et ordonnent que soient jugés Georges Tron et Brigitte Gruel. «Un innocent n’a rien à craindre devant la cour d’assises», assure au Parisien Me Olivier Schnerb après le rejet du pourvoi en cassation de son client, en avril 2015.

Pour le maire de Draveil et son ancienne adjointe, l’heure de ce procès d’assises a sonné. Il doit durer jusqu’au 22 décembre à Bobigny, où il a été dépaysé pour de légitimes raisons de sérénité.

* Me Olivier Schnerb est décédé le 6 février dernier à l’âge de 63 ans

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