Le tailleur, le mystérieux mécène et le droit fiscal

Cet article a été publié sur le site Dalloz-Actualité.fr le 17 mars 2017.

Par Vincent Ollivier et Eva Dinelli.

Une nouvelle affaire relative à François Fillon vient égayer cette campagne présidentielle et permet d’assimiler encore davantage l’élection du candidat de la droite et du centre à l’ouverture de la boîte de Pandore.

Cette nouvelle affaire – appelons-la celle du tailleur – nous apprend que le candidat anti-système se serait fait offrir par un généreux ami pour 48 500 € de costumes sur mesure, ce qui témoigne d’un goût certain pour le bespoke autant que d’une désinvolture tout aussi certaine à l’égard des éventuels soupçons qu’une telle situation pourrait faire naître.

À ce jour, ces soupçons portent presque exclusivement sur le manquement à la déontologie que cet événement pourrait révéler et sur un nouvel accroc à cette transparence vertueuse dont François Fillon aimait, jusque récemment, se parer.

Il est cependant un autre soupçon, non évoqué aujourd’hui, à notre connaissance, et qui pourrait pourtant être, tout aussi légitimement nourri, celui de l’existence d’une dissimulation de ses revenus par M. Fillon.

Selon la législation fiscale, en effet, les dons manuels, même s’ils ne doivent pas ab initio faire l’objet d’une déclaration, seront imposés soit lorsque le contribuable en révèlera spontanément l’existence, soit lorsque l’administration les découvrira.

Or un présent d’une valeur de près de 50 000 € pourrait raisonnablement être considéré comme constituant un don manuel.

Si la réalité de ce don était établie, c’est-à-dire si l’identité du donateur était révélée et si M. Fillon s’en ouvrait à l’administration fiscale, il pourrait dès lors devoir s’acquitter des droits de mutation.

Si cette identité demeurait secrète, en revanche, les fonds ayant servi à l’acquisition de ces vêtements pourraient être considérés comme un revenu occulte.

Dès lors qu’en application de l’article 1741 du code général des impôts, toute omission intentionnelle de déclaration d’un revenu supérieur à la somme de 153 € constitue le délit de fraude fiscale, l’évacuation du risque d’engagement d’une procédure pénale est conditionnée par la révélation de l’identité du donateur et l’on s’étonne en conséquence que ce point ne suscite pas davantage d’interrogation.

La question d’un éventuel paiement en liquide, à hauteur de 35 500 €, d’une partie de cette garde-robe mérite également d’être posée.

Si ce paiement a effectivement existé, on doit en effet nécessairement s’interroger sur l’identité de celui qui y aurait procédé.

Signalons tout d’abord que, si c’est François Fillon lui-même qui a procédé au paiement, celui-ci aurait violé les dispositions du décret n° 2015-741 du 24 juin 2015 interdisant à compter du 1er septembre 2015 le paiement en espèces au-delà de 1 000 € (3 000 € avant cette date, en application du décret n° 2010-662), décret visant à limiter la part des opérations financières anonymes dans l’économie pour mieux lutter contre la fraude, le blanchiment et le financement du terrorisme.

Cela, pour un candidat si prompt à rappeler toute l’importance qu’il attache au respect de la loi, pourrait faire désordre.

Surtout, si c’est François Fillon qui a effectivement réglé en liquide cet achat, se posera la question de savoir d’où provenaient les fonds.

Aujourd’hui, et en l’absence de toute information permettant d’identifier le mystérieux mécène, ces fonds doivent être considérés comme étant la propriété de M. Fillon et, dès lors, comme constituant un revenu de ce dernier.

Il est dès lors douteux que le candidat de la droite et du centre puisse taire très longtemps le nom du mystérieux ami qui, selon ses dires, aurait fait à son égard preuve d’une telle générosité.

Si l’on devait risquer un conseil au candidat valeureux, la révélation du nom de cet ami constituerait un moindre mal.

M. Fillon pourrait en effet expliquer l’absence de déclaration d’un don manuel de costumes, par le fait que, curieusement d’ailleurs, une telle déclaration n’a pas à être spontanément effectuée, selon les articles 757 et 635 A du code général des impôts.

Cela présenterait l’avantage de l’exonérer de toute responsabilité dans ce paiement suspect et de laisser l’ami en question se débrouiller avec la violation de l’interdiction de règlement en liquide supérieur à 1 000 € (ou 3 000 € avant 2015).

Cela serait très certainement préférable au fait de se retrouver en situation de devoir expliquer à l’administration fiscale, qui ne se contentera certainement pas de la pudeur dont François Fillon fait preuve, comment il s’est trouvé en possession de plus de 35 000 € en liquide et risquer ainsi l’engagement d’une procédure du chef de fraude fiscale.