Manu et le mineur

Cet article a été publié sur le site Dalloz-Actualité.fr le 25 juin 2018.

Un événement récent, qui a emporté, comme souvent, l’embrasement de ces trois furies que sont la politique, la communication et « lémédias », a nécessairement retenu l’attention de tout juriste tatillon.

Par Vincent Ollivier et Clément Baillon le 25 Juin 2018

Il s’agit évidemment de l’incident du mineur de quinze ans morigéné par M. le Président de la République française, Emmanuel Macron, chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran, coprince d’Andorre et protecteur de l’Académie française.

À l’occasion de l’un de ses déplacements, celui-là à l’occasion de l’anniversaire de l’appel du 18 juin, notre président fut hélé de façon familière par un individu d’âge peu avancé, lequel se crut, inopportunément, autorisé à employer le diminutif du prénom de ce haut personnage. En réponse à cette adresse fort peu protocolaire, notre président se fit fort d’admonester d’importance le jeune homme et de lui asséner dans la foulée quelques leçons de vie évidemment essentielles.

Tout cela aurait été bel et bon – le prince (au sens de Machiavel, entendons-nous) guide ses sujets, c’est, pour paraphraser Bruno Roger-Petit, saint Macron guérissant la lèpre et inculquant les grands principes. C’est la mystique républicaine. Rien à dire – si cela s’était arrêté là.

Ce qui pose problème, en revanche, c’est l’instrumentalisation de cette séquence par plusieurs médias et, à leur suite, par les services de communication de la présidence.

C’est par eux que cette séquence, où apparaît, avec le visage non flouté, un mineur de quinze ans, a été diffusée. Il convient d’insister sur la qualification juridique. Elle n’est pas sans intérêt dans une réflexion portant sur une présidence et un gouvernement qui ont fait de la protection des mineurs contre les violences et le harcèlement un axe de sa communication. Ceux qui ont pris l’initiative de diffuser cette vidéo ont en effet sciemment choisi de livrer au monde entier, avec les conséquences qu’ils n’ont pu ignorer, le visage d’un mineur de quinze ans.

En réaction à cela, les juristes, tout en déplorant le procédé, ont dans leur ensemble considéré qu’il n’exposait leurs auteurs à aucune sanction, au motif que, l’événement étant public, chacun pouvait diffuser les images qui y étaient enregistrées.

Le point de vue apparaît contestable.

La jurisprudence considère en effet que « les droits au respect de la vie privée et à la liberté d’expression [revêtent], eu égard aux articles 8 et 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et 9 du code civil, une identique valeur normative »1.

En application de ce principe, il appartient donc au juge saisi de rechercher l’équilibre de ces droits et de privilégier la solution protégeant l’intérêt qui leur apparaît le plus légitime.

Dans cette perspective, la protection accordée au mineur sera plus rigoureuse. Ceux-ci appartenant à une catégorie de personnes particulièrement vulnérable, la Cour de cassation se montre en effet particulièrement protectrice de leur droit à l’image2.

En application de ces principes, la règle est, s’agissant d’un mineur en âge de manifester un accord, celle des trois consentements : celui de l’individu concerné3, ainsi que de ses deux représentants légaux4.

Les exceptions à ce principe sont assez limitées.

On ne pourra diffuser, en l’absence d’autorisation expresse – écrite et limitée – que si l’image est relative à un sujet d’actualité, un débat général, un sujet historique, lorsque la reproduction de l’image de la personne qui y figure est accessoire par rapport à la photographie ou lorsque la personne n’est pas identifiable sur l’image en cause (prise de vue de trois quarts ou par des techniques de « floutage » des visages).

Au cas particulier, la seule raison qui pourrait être avancée pour justifier la diffusion de cette image est celle de l’actualité.

La diffusion du visage de ce mineur ne pourrait ainsi être considérée comme justifiée que si elle était jugée « nécessaire à une légitime information du public sur le sujet traité »5.

Or il est douteux que cette exception soit recevable en l’espèce.

Tout d’abord, parce qu’il n’est pas certain que la diffusion de la leçon de maintien administrée par un fonctionnaire – fût-il le premier – à un usager du service public participe de l’information nécessaire du citoyen.

Que l’image de cet adolescent soit diffusée dans le cadre d’un reportage sur la foule assistant à la venue d’une personnalité officielle à une cérémonie de commémoration peut se comprendre. Il est venu sur les lieux. On présume que c’est avec l’accord de ses représentants légaux. La participation à l’événement laisse donc supposer une autorisation tacite à la diffusion des images qui pourraient y être prises. Dans ce cadre strict, la diffusion peut donc n’être précédée d’aucun consentement exprès préalable, le droit à l’information permettant de s’en dispenser.

Cette autorisation tacite n’existe cependant plus dès lors que l’événement collectif auquel on participe se transforme en événement individuel et qu’un visage, jusque-là anonyme, se retrouve soudain au centre de l’attention.

À ce moment, un accord à la diffusion des images est de nouveau requis, car le périmètre de ce à quoi l’on a tacitement consenti s’est démesurément étendu.

Il apparaît dès lors que, pour diffuser des images individualisant le mineur en question, il aurait fallu recueillir son accord ainsi que celui de ses représentants légaux.

Dans un arrêt du 14 juin 2007, la Cour de cassation s’est penchée sur cette épineuse question. Elle a estimé qu’une rediffusion dans une « perspective différente » de l’image d’enfants dont les parents avaient autorisé la première diffusion rendait nécessaire une nouvelle autorisation de la part des responsables légaux6.

Le même raisonnement peut être appliqué à notre affaire : si les parents du jeune séditieux vertement repris par le président peuvent être présumés avoir donné leur consentement tacite à la diffusion d’images relatives à la cérémonie dans laquelle leur enfant apparaît de manière incidente, ils n’ont jamais autorisé un quelconque étalage dans les médias des images que l’on connaît, ces dernières ne poursuivant pas la même « perspective » que celle qu’ils pouvaient présumer.

On pourra évidemment argumenter en disant que la diffusion de cet entretien individuel entre un adolescent de 14 ans et le président de la République était essentielle à l’information du public.

On peut cependant douter que, face au respect de la vie privée et du droit à l’image d’un mineur, cette position soit jugée très pertinente par la juridiction qui aurait à en apprécier. Les quelques propos échangés ne se rattachent en effet à aucune préoccupation réelle du public et leur diffusion n’a d’autre intérêt que de susciter un scandale médiatique.

Il est dès lors à craindre que des objectifs aussi triviaux ne l’emportent pas sur un droit aussi essentiel.

Cependant, et parce qu’il ne faut jamais jurer de rien, dans l’hypothèse même où l’on considérerait que la diffusion de l’admonestation paternellement administrée par le chef des armées à un jeune fantaisiste chevelu participerait de la nécessaire information du public, cela n’emporterait pas pour autant automatiquement la légalité de cette diffusion.

Se pose en effet ici la question de savoir si l’illustration de ce sujet d’intérêt général – si tant est que c’en soit un – impliquait nécessairement l’identification de l’interpellé ?

Par la décision, précitée, du 14 juin 2007, la Cour de cassation a en effet indiqué que, si l’illustration d’une étude d’intérêt général dispensait effectivement de recueillir le consentement des intéressés, cela « n’impliqu[ait] pas nécessairement que les personnes représentées soient identifiables ».

Or, au cas particulier, il est tout à fait certain que les propos tenus auraient été identiques, ainsi d’ailleurs que le sens du « message » délivré, si le visage du très jeune interlocuteur de notre président de la République et bienfaiteur de l’Académie française avait été flouté.

Cette information n’aurait en rien été altérée par une dissimulation du visage de l’enfant qui en est le sujet, d’où l’on peut dès lors en déduire qu’il n’était aucunement nécessaire que celui-ci soit identifiable.

Il apparaît donc que la diffusion de cette séquence, tant par les médias que par les services de communication de la présidence de la République, a été effectuée en violation des dispositions de l’article 9 du code civil.

Ainsi, à défaut de révolution (en l’absence, pour l’heure, des diplômes adéquats) et en sus d’une procédure à l’encontre des chaînes de télévision, l’adolescent trop familier pourrait engager une action indemnitaire pour demander réparation du préjudice causé par la diffusion de ces images par l’État.

Au demeurant, au-delà de la difficulté strictement juridique et s’agissant exclusivement de notre président de la République, on peut légitimement penser, tout de même – et sans vouloir revigorer plus qu’elle ne l’est déjà l’alliance du sabre et du goupillon – qu’en tant que chanoine de Latran, la charité chrétienne aurait dû le conduire à refuser la diffusion de cette image.

Mais là n’est bien évidemment pas le propos.

1. Civ. 1re, 30 sept. 2015, n° 14-16.273, Dalloz actualité, 15 oct. 2015, obs. V. Da Silva ; D. 2015. 2008 ; ibid. 2016. 277, obs. E. Dreyer ; Dalloz IP/IT 2016. 42, obs. V. Varet ; RTD civ. 2016. 449, obs. N. Cayrol.
2. P. Bonfils, A. Gouttenoire, Droits des mineurs, Dalloz, 2014, p. 466.
3. Ainsi, dans un arrêt de 1968, la cour d’appel d’Aix-en-Provence estima que, pour publier le cliché d’une jeune fille, « le directeur de la publication aurait dû obtenir cumulativement l’autorisation du père, mais encore celle de la jeune fille qui, à l’époque du cliché, avait “atteint un âge suffisant” » (J. Hauser, L’enfant ou l’enfance ? Le droit à l’image. Contribution au 20e anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant, D. 2010. 214).
4. Civ. 1re, 12 déc. 2000, n° 98-21.311, Bull. civ. I, n° 322 ; D. 2001. 2064, note J. Ravanas ; ibid. 2077, obs. C. Caron; RTD civ. 2001. 329, obs. J. Hauser.
5. TGI Paris, 8 févr. 2012, n° 11/01040.
6. Civ. 1re, 14 juin 2007, n° 06-13.601, Bull. civ. I, n° 236 ; D. 2007. 1879, obs. C. Delaporte-Carré; ibid. 2771, obs. A. Lepage, L. Marino et C. Bigot; RTD civ. 2007. 753, obs. J. Hauser.