Saisies pénales : axes de défense

Cet article a été publié dans la revue Lexbase Pénal n° 4 le 19 avril 2018.

Depuis 2010, la pratique des saisies en matière pénale a fondamentalement évolué.

Avant cette date, le droit pénal en connaissait bien sûr déjà mais celles-ci ne pouvaient être opérées qu’à titre probatoire, au cours de l’enquête et de l’instruction, ainsi qu’à titre d’exécution de la sanction, lorsque la condamnation était devenue définitive.

La loi du 9 juillet 2010 a profondément modifié cet état de choses, en permettant, avant toute condamnation, de pratiquer des saisies conservatoires.

Depuis cette date, les biens de toute personne mise en cause peuvent être saisis, sans que cela ne soit aucunement nécessaire en termes de poursuite de la vérité, aux seules fins de garantir l’exécution des peines complémentaires qui pourraient être ultérieurement prononcées.

Au nombre de ces peines complémentaires on trouve évidemment, la confiscation, en nature et en valeur, de ce qui a permis la commission de l’infraction ou de ce qui en est le produit, mais également, dans certaines hypothèses, de l’ensemble du patrimoine du mis en cause, que celui-ci soit, ou non le produit d’une infraction quelconque.

Tout cela, qui était possible auparavant, mais seulement une fois une décision définitive intervenue au fond, peut aujourd’hui être réalisé dès le stade de l’enquête ou de l’instruction et sans nécessité probatoire.

L’appréhension par les praticiens de ce nouveau régime des saisies fut -et, dans une large mesure, est encore— assez délicate, essentiellement en raison de la rédaction des textes.

La division adoptée dans ce qui est devenu le vingt-neuvième titre du Code de procédure pénale entre les différentes saisies est en effet tout sauf éclairante. Notamment, le choix de consacrer un chapitre à ce qui est appelé «les saisies de patrimoine», opposées à toutes les autres saisies apparaît difficilement compréhensible, toute saisie portant, par définition, sur un élément de patrimoine.

Dès lors, et avant de se pencher sur les moyens de défense à la disposition des praticiens (II), il conviendra d’exposer -ou à tout le moins de tenter de le faire— la logique gouvernant le régime des saisies spéciales (I).

I — L’articulation délicate des régimes de saisies

L’organisation des régimes des saisies, qui n’était originellement déjà pas aisée à distinguer, en raison d’une rédaction imparfaite (A), a encore été complexifiée par la place faite, depuis 2012, à la saisie en valeur (B).

A — La division originelle

Le titre relatif aux saisies spéciales distingue, selon la gravité des saisies, deux régimes distincts. Le premier correspond aux saisies qui sont potentiellement les plus graves, puisqu’elles portent, non pas sur le produit de l’infraction ou sur ce qui a servi à sa commission mais sur le patrimoine du mis en cause, quand bien même celui-ci serait-il parfaitement extérieur aux délits poursuivis et son origine régulièrement établie. Ces saisies sont organisées selon les critères et la procédure posés par l’article 706-148 Code de procédure pénale. Ce texte prévoit tout d’abord que cette saisie ne peut être ordonnée que si le délit est puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins cinq ans. Dans une telle hypothèse, la confiscation sera envisageable si celle-ci est prévue par les alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du Code pénal, ou si l’origine des biens ne peut être établie. Les alinéas susvisés de l’article 131-21 précité prévoient que :

Alinéa 5 : « S’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné lorsque celui-ci, mis en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’a pu en justifier l’origine».

et que :

Alinéa 6 : « Lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut aussi porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné, quelle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis».

On peut se demander si le membre de phrase figurant à la fin du premier alinéa de l’article 706-148 du Code de procédure pénale, en ce qu’il prévoit la possibilité d’une saisie pour les biens dont l’origine ne peut être établie, ne fait pas double emploi avec la référence à l’alinéa 5 de l’article 131-21, qui autorise la saisie dans les mêmes circonstances.

On notera cependant que la rédaction est légèrement différente, puisque l’article 131-21 du Code pénal exige que l’intéressé ait été mis en mesure de s’expliquer, alors que l’article 706-148 du Code de procédure pénale, lui, n’impose aucunement une telle exigence.

Cela pourrait d’ailleurs poser des difficultés, en termes d’égalité du citoyen devant la loi pénale, la saisie pouvant être effectuée sur le fondement de deux textes distincts, dont l’un est plus protecteur des droits du mis en examen que l’autre. Ce point sera exposé ultérieurement.

Néanmoins, et à ce stade, on doit constater que ces saisies ne sont possibles que pour les infractions les plus graves, lorsque la confiscation de l’ensemble est encourue, sans condition de lien avec l’infraction, ou lorsque l’origine des biens dont la saisie est envisagée ne peut être établie.

Ces saisies, dans la mesure où elles peuvent porter sur des biens qui ne sont pas le produit d’une infraction, et qui portent donc une atteinte majeure au droit de propriété, sont plus strictement encadrées.

Elles sont ordonnées par le juge des libertés et de la détention en enquête préliminaire, sur requête du procureur de la République, ou, au cours de l’information, par le juge d’instruction, sur requête du procureur ou, d’office, après avis de celui-ci.

Dans la mesure où elles sont entourées de garanties de protection des droits plus importantes, c’est le régime qui leur est applicable qui devra être mis en oeuvre dès que l’une des conditions posées par l’article 706-148 sera caractérisée dans une information portant sur une infraction punie d’une peine d’au moins cinq ans.

Le second régime distinct de saisies, qui n’a en fait lieu d’être appliqué que dans l’hypothèse où les délits poursuivis sont punis d’une peine inférieure à cinq ans, mais au moins égale à un an, ne concerne, lui, que les biens ayant servi à commettre l’infraction ou en constituant le produit.

Il est moins généreusement pourvu en garanties, puisque le juge d’instruction, pourra l’ordonner, sans requête préalable ni avis du procureur de la République.

Les articles 706-150 et suivants, rédigés de façon ambiguë, laissaient cependant place à l’éventualité de leur compétence générale pour l’ensemble des saisies. En effet, ils indiquent s’appliquer à tous les biens dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du Code pénal, sans distinguer selon les alinéas de ce Code.

Littéralement entendu, cela signifie que le régime simplifié prévu par les articles 706-150 et suivants pourraient être appliqué à toutes les hypothèses prévues par l’article 131-21, c’est à dire même aux saisies prévues par les alinéas 5 et 6 de cet article.

Avec une telle lecture des textes, les dispositions plus protectrices de l’article 706-148 se seraient trouvées privées d’effets.

Certaines juridictions ont, poursuivant l’objectif de valider les saisies effectuées, voulu s’engouffrer dans la brèche et ont ainsi indiqué que rien ne faisait obligation de pratiquer la saisie sur le fondement des dispositions de l’article 706- 148 du Code de procédure pénale par priorité à d’autres fondements et qu’il suffisait que les biens soient susceptibles de confiscation à quelque titre que ce soit, selon les distinctions de l’article 131-21 du Code de procédure pénale.

Elles ont été arrêtées dans leur élan par la Cour de cassation, qui, dans deux arrêts de principe, a rappelé les domaines respectifs de deux saisies. Le premier rappel des domaines des dispositions des articles 706-148 et 706-150 et suivants du Code de procédure pénale a été effectué par une décision de la Chambre criminelle en date du 11 juillet 2012 (Cass. crim., 11 juillet 2012, n° 12-82.050, FS-P+B).

Le pourvoi était formé par des justiciables ayant fait l’objet d’une saisie de leurs biens, dans le cadre d’une instruction ouverte du chef d’escroquerie, faux et usage, travail dissimulé et blanchiment de fraude fiscale.

L’ordonnance de saisie avait été rendue au visa des article 131-21, alinéa 6, du Code de procédure pénale et 324- 7, alinéa 12 du Code pénal, soit dans une hypothèse où la confiscation de l’ensemble du patrimoine des personnes condamnées était prévue par la loi.

Ce pourvoi était formé à l’encontre d’un arrêt de la chambre de l’instruction, qui avait confirmé l’ordonnance de saisie et rejeté pour ce faire l’argumentation soulevant l’absence d’avis du procureur de la République, préalablement à la saisie, au motif que cette saisie avait été effectué en application des dispositions de l’article 706-153 du Code de procédure pénale et, dès lors, ne nécessitait pas un avis préalable du procureur.

La Cour de cassation censure cette décision. Même si le motif de cassation n’est guère détaillé, le rappel de ce que la saisie avait été ordonnée au visa de l’alinéa 6 de l’article 131-21 ne laissait guère de doute sur le sens de la décision.

La Cour de cassation indiquait en effet très nettement que, dès lors que la confiscation de l’ensemble du patrimoine était, pour l’infraction du chef de laquelle la mise en examen était intervenue, encourue, seules les dispositions de l’article 706-148 trouvaient à s’appliquer.

Elle confirmera sa position peu de temps après, par un arrêt en date du 27 novembre 2012 (Cass. crim., 27 novembre 2012, n° 12-85.344, F-P+B) dans une hypothèse qui lui permettra d’affirmer de façon particulièrement claire la distinction entre les deux régimes de saisies.

Il s’agissait, cette fois, non plus d’une saisie qui visait expressément des biens dont la confiscation était prévue par la loi mais, au contraire, d’une saisie qui, sur le fondement de l’article 706-153, avait porté sur des comptes bancaires.

Les titulaires de ces comptes avaient, pour contester la saisie, fait valoir qu’il n’était pas établi qu’il existât un lien entre les fonds présents sur ces comptes et les faits des chefs desquels la mise en examen était intervenue.

Pour confirmer néanmoins l’ordonnance de saisie, la chambre de l’instruction avait fait preuve d’une certaine inventivité.

Elle avait tout d’abord indiqué que, s’il ne lui appartenait pas de modifier le fondement juridique de l’ordonnance déférée, elle pouvait en revanche substituer ses motifs à ceux adoptés par le premier juge.

Elle indiquait alors que les dispositions de l’article 706-141 du Code de procédure pénale, qui est l’article introductif du titre de ce Code consacré aux saisies spéciales, prévoyaient que ces saisies pouvaient être réalisées afin de garantir l’exécution d’une peine de confiscation prévue par les dispositions de l’article 131-21 du Code pénal.

Elle poursuivait en relevant que l’alinéa 6 de ce texte prévoyait que, lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit, la confiscation peut aussi porter sur tout ou partie des biens appartenant au condamné.

Elle relevait alors que, compte tenu de l’infraction pour laquelle la personne saisie avait été mise en examen, celui-ci encourait la confiscation de ses biens, dans les termes de l’article 131-21 du Code pénal, visé par les dispositions de l’article 706-141 du Code de procédure pénale.

Elle en concluait alors, et validait la saisie de ce chef, que le juge d’instruction pouvait se fonder sur les dispositions de l’article 706-153 dudit code, sans avoir à établir que les biens saisis seraient le produit des infractions reprochées.

La Chambre criminelle censurait cette décision en relevant que, sous couvert de substitution de motifs, la chambre de l’instruction avait en réalité modifié le fondement juridique de la saisie, laquelle, portant sur des biens dont la confiscation était prévue par l’alinéa 6 de l’article 131-21, constituait en réalité une saisie de patrimoine et, dès lors, était soumise à l’avis préalable du procureur.

La Cour de cassation posait ainsi une règle claire : dès lors que la saisie intervenait sur le fondement des alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du Code pénal, elle ne pouvait être mise en oeuvre que dans les conditions posées par l’article 706-148 du Code de procédure pénale.

Ce n’est que dans l’hypothèse où cette saisie était prévue par les autres alinéas de l’article 131-21 du Code pénal que les dispositions des articles 706-150 et suivants du Code de procédure pénale pouvaient être appliquées.

Cette répartition des domaines respectifs des saisies semble cependant aujourd’hui remise en question du fait de l’introduction des dispositions relatives à ce qui a été appelé la «saisie en valeur».

 B — La confusion induite par le nouveau régime de la saisie en valeur

Jusqu’à la réforme opérée par la loi du 27 mars 2012, il n’existait qu’une confiscation en valeur, envisageable seulement dans le cadre de l’exécution d’une décision et qui était, dès lors, exclusivement prévue par les dispositions de l’article 131-21 alinéa 9 du Code pénal, lesquelles disaient que :

« Lorsque la chose confisquée n’a pas été saisie ou ne peut être représentée, la confiscation est ordonnée en valeur. Pour le recouvrement de la somme représentative de la valeur de la chose confisquée, les dispositions relatives à la contrainte judiciaire sont applicables».

Aux termes de ce texte, la confiscation en valeur ne pouvait donc intervenir qu’en l’absence d’une saisie préalable, ordonnée à des fins probatoires ou lorsque la chose confisquée ne pouvait être représentée.

La rédaction de ce texte a été modifiée par la loi du 27 mars 2012 et celui-ci se présentait alors comme suit :

« La confiscation peut être ordonnée en valeur. Pour le recouvrement de la somme représentative de la valeur de la chose confisquée, les dispositions relatives à la contrainte judiciaire sont applicables».

La condition de l’absence de saisie préalable ou de l’impossibilité de représentation était ainsi supprimée, ce qui revenait à dire qu’elle pouvait porter sur tous les biens du condamné.

Parallèlement, était introduit, dans le Code de procédure pénale, un nouvel article 706-141-1, prévoyant la possibilité de pratiquer cette saisie en valeur antérieurement à toute condamnation, en vue de garantir l’exécution de celle-ci.

Ce nouvel article disposait que :

« La saisie peut également être ordonnée en valeur. Les règles propres à certains types de biens prévues aux chapitres III et IV du présent titre s’appliquent aux biens sur lesquels la saisie en valeur s’exécute».

Enfin, comme s’il estimait n’avoir pas été assez clair, le législateur, par la loi du 6 décembre 2013, modifiait une nouvelle fois le texte de l’article 131-21 alinéa 9. En sa dernière version, ce texte, beaucoup plus explicite sur le nouveau domaine donné à cette forme de saisie, dispose que : « La confiscation peut être ordonnée en valeur.

La confiscation en valeur peut être exécutée sur tous biens, quelle qu’en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition.

Pour le recouvrement de la somme représentative de la valeur de la chose confisquée, les dispositions relatives à la contrainte judiciaire sont applicables».

Cette évolution des modalités de saisie, justifiée par la nécessité d’appréhender plus facilement le patrimoine des mis en cause suffisamment avisés pour dissimuler les produits de l’infraction, porte en elle la disparition de la distinction originellement prévue par le Code.

En effet, dès lors qu’il n’est plus nécessaire que le bien saisissable soit lié à l’infraction ou que son origine soit invérifiable, mais seulement qu’il constitue l’équivalent en valeur d’un bien qui satisferait à ces conditions, il est possible de s’affranchir de l’application des dispositions de l’article 706-148 du Code de procédure pénale.

Ainsi, pour tout délit, même puni de moins de cinq années d’emprisonnement, même si la confiscation du bien est expressément prévue par les alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du Code pénal et même si l’origine de ce bien est parfaitement établie, on pourra pratiquer la saisie sur le fondement des articles 706-141-1 et 706-150 et suivants.

En conséquence, le recours à l’article 706-148 se trouve privé de tout intérêt, le même résultat pouvant être atteint sans avoir à respecter les conditions fixées par ce texte.

Cette conséquence logique de l’introduction de l’article 706-141-1 a été récemment consacrée par une série d’arrêts rendus le même jour par la Chambre criminelle (Cass.crim., 30 septembre 2015, n° 15-81.744, FS-P+B et n° 15-81 745).

Par ces décisions, la Cour de cassation confirmait les arrêts des chambres de l’instruction qui, dans des hypothèses où la peine encourue et les dispositions des alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du Code pénal auraient antérieurement imposé de se fonder sur les dispositions de l’article 706-148 du Code de procédure pénale, s’étaient néanmoins déterminés en visant exclusivement celles des articles 706-141-1 et 706-153 et suivants.

Le motif, chaque fois identique, retenu pour rejeter les pourvois, est assez éclairant sur la volonté de la Cour de cassation de donner le plus large domaine aux dispositions de l’article 706-141-1.

Ainsi, la cour de cassation, après avoir relevé que les dispositions de ce texte étaient d’application immédiate, relève que la créance saisie constituait : « un bien saisissable à titre de mesure conservatoire en vertu de l’article 706-141-1 du Code de procédure pénale, immédiatement applicable, comme pouvant représenter, en valeur, le produit susceptible de confiscation, de certaines des infractions poursuivies […]».

Cette position de la Cour de cassation a, depuis lors été constamment réaffirmée, le dernier arrêt rendu sur ce point, en date du 22 février 2017 Cass.crim., 22 février 2017, n° 16-83.257, FS-P+B), reprenant à l’identique le motif retenu dans ceux du 30 septembre 2015.

On doit dès lors aujourd’hui constater que la distinction, qui figure pourtant toujours dans le Code, entre ce qui relève des saisies de patrimoine et ce qui relève des autres saisies spéciales, ne présente aujourd’hui plus guère d’intérêt.

En effet, si l’on peut saisir «librement» n’importe quel bien composant le patrimoine comme constituant l’équivalent en valeur de l’objet ou du produit de l’infraction, il n’est plus guère utile de faire usage des dispositions plus contraignantes que ne permettait de le faire que sous certaines conditions.

Disparaît ainsi l’un des axes de défense qui, dans le cadre des premiers dossiers soumis à l’appréciation de la Cour de cassation, permettait d’invalider les saisies, à savoir l’erreur dans le choix du fondement retenu et, corrélativement, l’absence de respect des garanties offertes par les dispositions de l’article 706-148 du Code de procédure pénale.

On doit d’ailleurs faire observer qu’avant même l’entrée en vigueur de la loi du 6 décembre 2013 et la large extension du domaine de la saisie en valeur à laquelle elle procédait, la Cour de cassation semblait être revenue sur la distinction posée par les deux décisions des 11 juillet et 27 novembre 2012.

Ainsi, par un arrêt en date du 17 décembre 2014 (Cass.crim., 17 décembre 2014, n° 14-80.064, FS-D), elle semblait déjà modifier sa position antérieure.

Elle jugeait ainsi, dans une hypothèse où étaient remplis les critères de l’article 706-148 du Code de procédure pénale, que les dispositions de l’article 706-153 du même Code autorisaient la saisie de biens ou droits immobiliers incorporels dont la confiscation était prévue par l’article 131-21 du Code pénal.

Il n’était pourtant guère contestable, comme le relevait d’ailleurs la chambre de l’instruction, par des motifs qui ne seront pas, par la suite, contestés, que les conditions d’application de l’article 706-148 étaient réunies.

En effet, le délit était puni de plus de cinq années d’emprisonnement et la confiscation de l’ensemble des biens, même sans lien avec l’infraction, était prévue par les dispositions combinées de l’alinéa 6 de l’article 131-21 du Code pénal et l’article 321-4 du même Code.

Nonobstant ces circonstances, la saisie pratiquée au visa de l’article 706-153 était validée.

On peut donc penser que la loi du 6 décembre 2013 n’est, finalement, venue que confirmer une orientation que la jurisprudence avait déjà prise.

Celle-ci ne laisse plus aujourd’hui à la défense que des chemins fort étroits pour contester une saisie spéciale.

II — Stratégies de défense

Un certain nombre de moyens de défense ont d’ores et déjà fait l’objet d’une consécration jurisprudentielle et seront exposés dans un premier temps, avant de faire état des pistes pour l’heure encore inexploitées.

A — Axes de défense reconnu

De façon classique, le premier axe de défense aujourd’hui reconnu est relatif aux principes directeurs du procès et, notamment, au respect des Droits de la défense.

1) Respect des droits de la défense

Dans ce contexte, deux moyens sont accueillis par la Cour de cassation : d’une part, l’absence d’accès d’une personne saisie aux pièces essentielles à lui permettre de former son recours et, d’autre part, l’existence d’une substitution de motifs sans que les parties aient été en mesure de faire valoir leurs observations.

a) L’accès aux pièces

Quand bien même l’institution des saisies pénales a pour objet de rendre plus efficace la confiscation des biens des personnes mises en cause ou de ceux dont elles ont la libre disposition, cela ne saurait se faire au détriment des droits de la défense, dont le plus essentiel consiste à pouvoir consulter les pièces relatives à telle confiscation, quand bien même la personne saisie ne serait pas partie à la procédure.

Le respect d’une telle exigence est d’autant plus essentiel que les dispositions du Code pénal relatives aux saisies spéciales précisent expressément que ces pièces devront être mises à disposition de celui qui interjettera appel d’une ordonnance de saisie.

La Cour de cassation n’a cependant pas entendu donner à ces dispositions un champ d’application plus large que celui prévu par les textes.

Ainsi, la première série d’arrêts rendus sur la question a rejeté les moyens qui tendaient à critiquer le fait que seules les pièces afférentes à la saisie devaient être mises à disposition des parties (Cass.crim., 25 février 2015, n° 14-86.449, F-D, n° 14-86.448, n° 14-86.447, FS-P+B+I, 14-86.450; Cass.crim., 12 juillet 2016, n° 15-83.355, F-D).

Cette position est, depuis, confirmée de façon constante (Cass.crim., 25 octobre 2017, n° 16-87.111, F-D, Cass.crim., 25 octobre 2017, n° 16-87.113).

Dans ce contexte, la Chambre criminelle a précisé que le fait que la personne saisie ait été placée en garde-à-vue n’en faisait pas une partie à la procédure et ne lui donnait aucun droit à la communication de pièces autres que celles se rapportant spécifiquement à la saisie (Cass.crim., 17 juin 2015, n° 14-83.236, F-D).

La Chambre criminelle, s’agissant de la nature des pièces mises à la disposition des personnes contestant la saisie, a également refusé, à deux reprises, de transmettre des QPC qui critiquaient le seul accès aux pièces relatives à la saisie, au motif que, compte tenu de la différence de statut entre les personnes parties à l’instruction et celles qui ne le sont pas, la différence de traitement n’était pas constitutive d’une atteinte au principe d’égalité (Cass.crim., 28 février 2017, n° 16-83.777, F-D; Cass.crim., 28 mars 2017, n° 17-90.002, F-D) On le constate, l’accès aux pièces par les personnes saisies mais que ne sont pas parties à la procédure, s’il est consacré par les textes et la jurisprudence, est en revanche limité à la portion congrue.

Pourtant, dans l’objectif inavoué de maintenir les saisies, certaines décisions émanant des chambres de l’instruction ont voulu s’affranchir de cette obligation minimale de communication.

Ainsi, certains arrêts ont pu considérer que, nonobstant l’absence de communication à l’appelant des pièces de la procédure se rapportant à la saisie contestée, aucune nullité ne devait en découler, au motif que cela n’emporterait aucun grief, dès lors que l’ordonnance de saisie satisfaisait aux conditions de forme et de notification.

Une telle position, qui faisait fi des dispositions textuelles prévoyant l’accès aux pièces n’a, fort heureusement, pas été validée par la Chambre criminelle.

Cette dernière, par une décision en date du 31 mai 2017 (Cass.crim., 31 mai 2017, n° 16-83.238, F-D) a censuré un arrêt de la chambre de l’instruction qui s’était refusé à prononcer la nullité d’une ordonnance aux motifs ci-dessus rappelés.

On notera cependant que cette décision réduit encore plus drastiquement les pièces dont l’appelant doit avoir connaissance, puisque la cassation n’intervient qu’au seul motif de l’absence de mise à disposition de la requête du procureur de la République, quand la défense, elle, sollicitait l’ensemble des pièces visées par l’ordonnance.

Cette question de la communication des pièces aux personnes saisies sans être pour autant partie à la procédure est donc aujourd’hui résolue, mais on doit constater que le domaine de cette communication reste relativement restreint.

Un autre axe de défense dont la Cour de cassation a consacré l’effectivité est relatif à la question des motifs retenus pour fonder la saisie et de la substitution que peuvent être tentés d’opérer les chambres de l’instruction.

b) Les conditions de la substitution de motifs

La question de la substitution de motifs et de son emploi par les juridictions saisies d’un recours est intimement liée à celle, évoquée supra, du fondement de la saisie.

Il est en effet apparu opportun à certaines chambres de l’instruction de modifier le fondement de la saisie, lorsque celui retenu par le juge d’instruction semblait évidemment inapproprié.

Cette hypothèse s’est essentiellement concrétisée lorsque le juge d’instruction a procédé à la saisie en estimant que le bien constituait le produit de l’infraction, alors que la confiscation générale du patrimoine était possible, sur le fondement de l’article 706-148 du Code de procédure pénale et par référence aux alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du Code pénal.

Dans un tel cas de figure, lorsqu’il est contestable que les biens saisis constituaient effectivement le produit de l’infraction, la tentation est grande, pour maintenir la saisie, de substituer au fondement retenu par le juge d’instruction un autre, dans le cadre duquel un tel élément matériel sera indifférent, puisque la confiscation de l’ensemble du patrimoine, même légalement acquis, sera possible.

La Cour de cassation n’interdit pas, à proprement parler, une telle méthode, à l’exception des hypothèses où des réquisitions préalables du Ministère public étaient exigées et où celles-ci visaient spécifiquement le fondement retenu par l’ordonnance à l’encontre de laquelle le recours était formé (Cass.crim., 19 mai 2016, n° 16-80.682, F-D).

Ainsi, lorsque les réquisitions portent exclusivement sur une saisie en valeur, il est impossible à la chambre de l’instruction de retenir un autre fondement que celui-là.

Elle conditionne cependant son emploi au respect du principe du contradictoire et exige que, préalablement à cette substitution de fondement, les parties soient mises en mesure de former à ce sujet des observations.

Elle l’a rappelé très nettement par un arrêt récent (Cass.crim., 17 mai 2017, n° 16-87.320, F-D) où, au visa de l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’Homme, et de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, elle a censuré une décision qui avait substitué les dispositions de l’article 706-148 à celle des articles 706-150 à 706-152 dudit code.

La contrainte imposée aux chambres de l’instruction est tout à fait légère et il suffit, pour pallier l’erreur de fondement commise par le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention, de mettre seulement les parties en mesure de former des observations à ce sujet.

D’autres axes de défense peuvent être dégagés de la jurisprudence de la Cour de cassation, relatifs à la motivation de certaines ordonnances et à l’exigence de proportionnalité à laquelle les saisies doivent satisfaire.

2) Exigences de motivation et de proportionnalité

La Cour de cassation a récemment rappelé l’obligation de motivation qui pèse sur le juge d’instruction ou le juge des libertés et de la détention lorsque les saisies ont été réalisées par un officier de police judiciaire, dans l’hypothèse prévue par les dispositions de l’article 706-154 du Code de procédure pénale.

a) Obligation de motivation a posteriori des saisies pratiquées par un OPJ

Les dispositions de l’article 706-153 du Code de procédure pénale, relatives aux saisies de bien et de droits mobiliers incorporels prévoient que celles-ci devront être autorisées par une ordonnance motivée, rendue, selon les cas, par le juges des libertés et de la détention, sur requête du procureur de la République, ou par le juge d’instruction.

L’article 706-154, par dérogation, prévoit que cette saisie pourra être pratiquée par un OPJ, sur autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, sans qu’une ordonnance préalable n’ait été rendue.

Dans cette hypothèse, les dispositions de l’article 706-154 prévoient que, dans les dix jours de la réalisation de cette saisie, le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction devront se prononcer par une ordonnance motivée sur son maintien ou sa mainlevée.

Là encore, les juridictions d’appel ont manifesté la tentation de valider les saisies effectuées, nonobstant l’absence de respect des conditions posées par ce texte.

La Cour de cassation, par un arrêt en date du 7 juin 2017 (Cass.crim., 7 juin 2017, n° 16-86.898, F-D a censuré une décision qui avait confirmé une saisie opérée par un OPJ, qui n’avait pas été suivie, dans les dix jours de sa réalisation, d’une ordonnance motivée du juge d’instruction.

La chambre de l’instruction motivait son arrêt en indiquant que le délai de dix jours n’était pas prévu à peine de nullité et que le dépassement de ce délai ne causait aucun préjudice à la personne concernée dès lors que cette dernière pouvait interjeter appel de l’ordonnance de maintien de la saisie, même rendue tardivement.

Cette décision faisait l’objet d’une cassation sans renvoi, au motif qu’en l’absence d’une ordonnance motivée dans le délai visé par les dispositions de l’article 706-154 du Code de procédure pénale, l’autorisation donnée par le procureur de la République cessait de produire effet.

On ne peut que se réjouir d’une telle position de la Cour de cassation, qui ne cède pas, dans l’objectif de valider coûte que coûte une saisie, à la tentation de faire perdurer, pour un temps indéfini, une telle mesure conservatoire, décidée par le seul ministère public.

Le dernier axe de défense dont la pertinence a été consacrée par la Cour de cassation est relatif à l’exigence de proportionnalité entre la saisie et le droit de propriété ainsi que la vie privée et familiale de la personne à l’encontre de laquelle elle est réalisée.

b) Principe de proportionnalité

Là encore, l’exigence posée par la Cour de cassation est limitée, puisqu’elle n’a lieu de s’appliquer que lorsque le bien saisi n’est ni l’objet ni le produit de l’infraction.

Lorsque le bien saisi présente de telles caractéristiques, tout moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité est inopérant, ainsi que l’a nettement rappelé la Chambre criminelle, par plusieurs arrêts récents (Cass.crim., 12 octobre 2016, n° 16-82.322, F-D ; Cass.crim., 7 décembre 2016, n° 16-80.879, F-P+B; Cass.crim., 5 janvier 2017, n° 16-80.275, FS-D).

Cette exigence de proportionnalité n’a donc lieu de s’appliquer que lorsque la saisie est réalisée lorsque la loi prévoit que la confiscation peut porter sur tout ou partie du patrimoine ou lorsque l’origine du bien ne peut être établi, ainsi que lorsque ladite saisie est réalisée en valeur.

La question de savoir comment un moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité peut prospérer reste cependant encore délicate à résoudre, les derniers arrêts de la Chambre criminelle semblant relativement contradictoires sur l’office du juge en la matière.

Un arrêt en date du 4 mai 2017 (Cass.crim., 4 mai 2017, n° 16-87.330, F-D [LXB=A9516WB3]) avait en effet laissé croire aux praticiens, non seulement que la Cour de cassation attachait de l’importance au respect du principe de proportionnalité en matière de saisies pénales -ce qui n’avait pas été, jusque-là, expressément affirmé— mais encore qu’elle faisait peser sur les juges du second degré l’obligation de procéder à la vérification que la saisie pratiquée n’était pas disproportionnée au regard du droit de propriété.

Elle avait ainsi censuré un arrêt qui avait rejeté un recours formé contre des saisies immobilières, au motif très net que la chambre de l’instruction s’était abstenue de rechercher si les mesures critiquées ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété du demandeur.

Cet arrêt de la Chambre criminelle n’avait cependant pas eu les honneurs de la publication, ce qui laissait subsister quelques doutes sur la portée que l’on entendait lui donner.

Quelques mois plus tard, ces doutes se trouvaient matérialisés par une autre décision (Cass.crim., 11 octobre 2017, n° 17-80.987, F-D).

Par cet arrêt, qui intervenait pourtant dans un contexte relativement similaire, la Chambre criminelle adopte une position sensiblement différente.

En effet, si elle continue, au moins implicitement, de consacrer la nécessité que les saisies ne portent pas une atteinte manifestement disproportionnée au droit de propriété, elle ne fait plus peser sur les juges du fond aucune obligation de rechercher si l’atteinte au droit de propriété était disproportionnée.

Bien au contraire, renversant complètement la charge de la preuve, elle rejette le pourvoi, au motif que « la requérante n’a[vait] pas explicité en quoi cette saisie porterait une atteinte disproportionnée à son droit de propriété».

Cet arrêt n’ayant pas davantage fait l’objet d’une publication, il est à ce stade difficile de dire dans quel sens sera résolue la contradiction et s’il appartient au juge de démontrer que la saisie était proportionnée ou si la charge de rapporter la preuve inverse repose sur les parties.

De ce qui précède, il ressort que, si certains moyens de défense peuvent espérer prospérer dans le cadre d’un recours formé contre une saisie, la Cour de cassation s’est quand même assurée d’en limiter la portée.

Certains autres axes de défense peuvent encore être envisagés, qui n’ont à ce stade pas encore été soumis à la Chambre criminelle.

Ceux-ci pourraient prendre la forme de questions prioritaires de constitutionnalité, fondée sur certaines confusions rédactionnelles du titre du Code de procédure pénale relatif aux saisies.

B — Axes de défense potentiels

Même si l’inventivité des conseils pourra faire mentir cette assertion, il semble que, s’agissant des contestations portant sur les conditions de l’application de la loi, les débats paraissent aujourd’hui tranchés.

La question de la conformité de certaines de ses dispositions à la constitution et, notamment, au principe d’égalité des citoyens devant la loi, peut en revanche toujours être posée.

1) La difficulté posée par la référence aux alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du Code pénal par l’article 706-148 du Code de procédure pénale

Si le Conseil Constitutionnel juge de façon constante que le principe d’égalité devant la loi pénale, issu des dispositions de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, n’interdit pas au législateur d’opérer une différenciation entre des agissements de nature différente (Cons. const., décision n° 80-125 DC du 19 décembre 1980; Cons. const., décision n° 2010-612 DC, du 5 août 2010), il prend en revanche soin de vérifier que cette différenciation soit motivée par des considérations objectives, en rapport direct avec l’objet de la loi.

Il l’a rappelé de façon particulièrement nette dansune décision en date du 28 juin 2013 (Cons. const., décision n°2013-328 QPC, du 28 juin 2013).

Statuant sur la question de la conformité à la Constitution de l’article L. 135-1 du Code de l’action sociale et des familles, il a soulevé d’office le grief tiré de l’atteinte au principe d’égalité devant la loi pénale.

Il a ensuite relevé que la disposition contestée punissait la perception frauduleuse des prestations d’aide sociale des peines réprimant l’escroquerie, soit, aux termes de l’article 313-1 du Code pénal, cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende, les articles 313-7  et 313-8 du même code déterminant les peines complémentaires applicables.

Il a alors constaté que le fait de se rendre coupable de fraude ou de fausse déclaration pour obtenir le revenu de solidarité active, l’aide personnalisée au logement ou l’allocation aux adultes handicapés était puni d’une amende de 5 000 euros par l’article L.114-13 du Code de la sécurité sociale, auquel renvoient respectivement les articles L.262- 50 du Code de l’action sociale et des familles, L.351-13 du Code de la construction et de l’habitation et L.821-5 du Code de la sécurité sociale.

Il en a conclu que des faits qualifiés par la loi de façon identique pouvaient, selon le texte d’incrimination sur lequel se fondaient les autorités de poursuite, faire encourir à leur auteur soit une peine de cinq ans d’emprisonnement et 375 000 euros d’amende, soit une peine de 5 000 euros d’amende.

Cette différence entre les peines encourues impliquant également des différences relatives à la procédure applicable et aux conséquences d’une éventuelle condamnation, le Conseil a alors jugé que cette différence de traitement n’était justifiée par aucune différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi et que, eu égard à sa nature et à son importance, la différence entre les peines encourues méconnaissait le principe d’égalité devant la loi pénale.

Dans son commentaire de la décision, le Conseil a souligné que, ce qui était en cause, ce n’était donc pas la situation assez courante en droit pénal, dans laquelle les mêmes faits peuvent recevoir plusieurs qualifications pénales, mais l’existence d’incriminations définies de façon identique par différentes dispositions législatives qui, toutefois, les répriment très différemment.

Ainsi est caractérisé l’existence d’une atteinte au principe d’égalité devant la loi pénale dès lors que plusieurs infractions, aux éléments constitutifs identiques, répriment les mêmes faits selon des procédures distinctes ou en prononçant des peines différentes.

Un tel raisonnement s’applique également lorsque la loi pénale ne prévoit pas, à proprement parler, de sanctions, mais qu’elle organise un régime de mesures conservatoires, avant que la sanction ne soit prononcée, dans l’objectif de garantir l’exécution de celle-ci.

En effet, ces saisies, aussi conservatoires qu’elles puissent être, emportent néanmoins une privation, à tout le moins temporaire, de propriété.

Il ne saurait en conséquence être question que, pour deux personnes placées dans des situations identiques, elles puissent être soumises à des conditions distinctes.

Il s’applique dès lors aux saisies pénales, organisées par les dispositions de l’article 706-148 du Code de procédure pénale, relatif à la saisie de patrimoine.

Or, il apparaît que la question de savoir si la rédaction de cet article contrevient au principe constitutionnel ci-dessus rappelé se pose sérieusement.

L’article 706-148 du Code de procédure pénale dispose que : « Si l’enquête porte sur une infraction punie d’au moins cinq ans d’emprisonnement , le juge des libertés et de la détention peut, sur requête du procureur de la République, autoriser par ordonnance motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des biens dont la confiscation est prévue en application des cinquième et sixième alinéas de l’article 131-21 du code pénal lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit le prévoit ou lorsque l’origine de ces biens ne peut être établie.

Le juge d’instruction peut, sur requête du procureur de la République ou d’office après avis du ministère public, ordonner cette saisie dans les mêmes conditions».

Il instaure ainsi, lorsque l’infraction est punie d’au moins cinq années d’emprisonnement la possibilité d’une saisie lorsque : — la confiscation est prévue par les dispositions des alinéas 5 et 6 de l’article 131-21 du Code pénal ; — lorsque l’origine des biens ne peut être établie.

Or, les dispositions de l’alinéa 5 de l’article 121-21 susvisé prévoient, pour leur part, que «S’il s’agit d’un crime ou d’un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, la confiscation porte également sur les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, appartenant au condamné lorsque celui-ci, mis en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’a pu en justifier l’origine».

On constate une différence des conditions exigées pour permettre la saisie, selon les dispositions de l’article 706-14 et celles de l’alinéa 5 de l’article 131-21, auquel l’article 706-148 renvoie expressément.

Est ainsi instaurée la double possibilité de saisir les biens d’une personne dans l’hypothèse où celle-ci, mise en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée, n’a pu en justifier l’origine (706-148 par renvoi à l’alinéa 5 de l’article 131-21 du Code de procédure pénale), mais également dans le cas où l’origine des biens n’aurait pas été établie, alors même que le mis en cause n’aurait pas été interrogé sur l’origine du bien (article 706-148, alinéa 1er in fine).

Ainsi, dans une même situation, c’est à dire une infraction punie d’au moins cinq années d’emprisonnement, la saisie pourra intervenir de deux façons différentes.

Dans le premier cas, la personne mise en cause pourra s’expliquer sur l’origine des biens et, le cas échéant, convaincre de leur origine non frauduleuse, alors que, dans le second cas, il n’existera aucune obligation de l’entendre.

Dans les deux hypothèses, pourtant, l’objectif poursuivi est identique, puisqu’il s’agit de permettre la saisie de biens dont l’origine précise ne peut être déterminée.

Il convient à cet égard de souligner que l’on ne saurait tirer argument du fait que l’article 131-21 du Code pénal vise les saisies définitives, alors que l’article 706-148 du Code de procédure pénale ne vise que les saisies conservatoires.

En effet, la référence à l’article 131-21 n’intervient que comme une condition d’intervention d’une saisie conservatoire.

C’est bien dans le cadre d’une telle saisie que le juge aura le choix entre interroger ou ne pas interroger le mis en cause avant de décider que l’origine des biens ne serait pas établie.

Il ne saurait pas davantage être objecté que la décision du Conseil constitutionnel du 28 juin 2013 aurait caractérisé la violation du principe d’égalité dans une hypothèse où un même fait était puni sous deux qualifications distinctes et que, dès lors, elle ne serait pas transposable au cas particulier.

En effet, nonobstant le fait que les circonstances de fait sont différentes, le résultat obtenu est, dans sa nature, identique, en ce qu’il aboutit à la possibilité d’appliquer des normes distinctes à des justiciables se trouvant pourtant dans une situation identique.

On ne voit guère de quelle façon on pourrait expliquer qu’une telle différence de traitement est en rapport direct avec l’objet de la loi puisque, quel que soit le critère retenu (celui de l’article 706-148 ou celui de l’alinéa 6 de l’article 131-21) c’est le même objectif -la réalisation d’une saisie conservatoire— qui est poursuivi.

Il apparaît en conséquence qu’une question prioritaire de constitutionnalité sur ce point, laquelle, à notre connaissance, n’a pas encore été posée, ne serait pas manifestement dépourvue de sérieux.

On peut d’ailleurs, sur les mêmes prémisses, s’interroger également sur l’intelligibilité de la loi pénale, en ce qu’elle porte sur la façon dont s’opérer la détermination de l’origine des biens.

Une autre question prioritaire de constitutionnalité, portant également sur la conformité des dispositions légales au principe d’égalité, peut être posée, à l’aune des évolutions qu’a emporté l’introduction de la saisie en valeur dans le titre relatif aux saisies spéciales.

2) La rupture du principe d’égalité emportée par le développement de la saisie en valeur

Ainsi que cela a été exposé, l’introduction de la saisie en valeur a privé d’une large part de son intérêt la distinction entre la saisie de patrimoine prévue par les dispositions de l’article 706-148 et les autres saisies spéciales.

En effet, dès lors que cette saisie peut porter sur n’importe quel bien du patrimoine, même sans lien avec l’infraction, comme représentant la valeur d’une autre, elle a le même domaine d’application que la saisie de patrimoine, tout en étant enserrée dans des conditions moins contraignantes.

Concrètement, n’importe quel élément du patrimoine pourra ainsi se trouver saisi, alors que le délit serait puni d’une peine inférieure à cinq années, que la confiscation de l’ensemble de ce patrimoine ne serait pas prévue par la loi ou que l’origine des biens pourrait parfaitement être établie.

Cela emporte comme conséquence que, pour saisir des éléments de patrimoine d’une personne, le juge des libertés et de la détention ainsi que le juge d’instruction pourront opter, dans une situation soumise aux dispositions de l’article 706-148 du Code de procédure pénale, soit pour les dispositions de ce texte, soit pour celles de l’article 706-141-1 du même code.

En effet, en procédant à une saisie en valeur, au visa des dispositions de l’article 706-141-1, le juge d’instruction n’a, d’une part, plus besoin de solliciter d’avis de procureur de la République ni d’être saisi à sa requête, comme il n’a pas non plus besoin de s’intéresser à l’origine des biens qu’il entend saisir.

Cela reste néanmoins une option à sa disposition, ce qui signifie donc que des personnes dans des situations identiques pourront néanmoins se trouver soumises à des régimes de saisie distinctes.

Là encore, on ne voit pas qu’une telle rupture d’égalité soit en rapport avec l’objet de la loi, de sorte qu’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur ce point n’apparaîtrait pas dépourvue de fondement.

Elle pourrait être formée à l’occasion de n’importe quelle procédure de saisie conservatoire, que celle-ci soit fondée sur les dispositions de l’article 706-141-1 ou sur celles de l’article 706-148, dès lors que seraient réunies les conditions d’application de ce dernier texte.

Il serait intéressant de voir les deux questions ci-dessus exposées transmises à la Cour de cassation, puis au Conseil constitutionnel, ne serait-ce que pour aboutir à un toilettage de la loi, de nature à restituer davantage de logique au titre relatif aux saisies.

L’évolution de la législation applicable aux saisies démontre, si quelqu’un en doutait encore, que l’appréhension des avoirs criminels est aujourd’hui un objectif de politique pénale prioritaire.

La Cour de cassation, dans ce contexte, n’a pas entendu donner aux quelques moyens de défense qu’elle admet un champ d’application trop large, de même qu’elle n’a pas entendu faire prévaloir la cohérence entre eux des différents articles du titre relatif aux saisie, sur l’effectivité recherchée du nouvel article relatif aux saisies en valeurs.

Si certains, davantage attachés à l’efficacité de la répression qu’à la protection des droits de la défense, s’en réjouiront, d’autres s’inquiéteront de cette possibilité, chaque jour un peu plus facilitée, de confisquer avant tout procès les biens de personnes seulement suspectées et des faibles moyens donnés à ceux qui en sont victimes d’y résister.