Procès Georges Tron: les vies « détruites » de Virginie et Eva, victimes présumées

L’Express – publié le 12 décembre 2017

L’ex-député et maire de Draveil est jugé à partir de ce mardi pour « viols en réunion » sur deux de ses anciennes employées municipales entre 2007 et 2010. L’affaire a laissé de profondes séquelles aux victimes présumées.

Bureau capitonné, déjeuners au cours desquels les mains se baladent sous les tables, séances de massage qui dérapent derrière les volets clos d’un hôtel de ville… Le scandale Georges Tron a éclaté dans le sillage de la retentissante affaire DSK. Son procès s’ouvre six ans plus tard, alors que le scandale Weinstein a provoqué une prise de conscience internationale sur les violences faites aux femmes.

L’emblématique ex-député-maire Les Républicains de Draveil (Essonne) et Brigitte Gruel, son ancienne adjointe à la Culture, comparaissent à partir de ce mardi devant les assises de Bobigny pour « viols en réunion et agressions sexuelles » sur deux femmes. Les juges d’instruction ont retenu des faits allant de 2007 à 2010. Mais ce n’est qu’en mai 2011 que les médias en ont eu connaissance, avec le dépôt des plaintes des victimes présumées, entraînant ainsi la chute de l’ancien secrétaire d’Etat.

Sur le banc des parties civiles, Virginie E. et Eva, deux ex-employées municipales, restent profondément traumatisées. Au cours de l’enquête, toutes deux ont raconté avoir subi les jeux sexuels de l’édile et de son adjointe, allant jusqu’à la pénétration, sous couvert d’un prétendu art de la « réflexologie » et par crainte de perdre leur emploi.

« Virginie a parfaitement perdue sa vie »

Six ans après sa plainte, Virginie dit toujours vivre un cauchemar. « Ma cliente a parfaitement perdu sa vie: elle n’a plus de travail, plus de mari », explique à L’Express son avocat Vincent Ollivier. « Détruite », Virginie, qui ne souhaite pas s’exprimer avant le procès, n’est jamais parvenue à retrouver un emploi. Elle est suivie psychologiquement et a effectué des cures de sommeil.

Il y a quatre ans, elle a quitté l’Essonne pour se réfugier dans le sud de la France. « Malgré son quasi-anonymat, des gens l’ont retrouvée, assure Me Vincent Ollivier. Alors elle reste enfermée dans sa chambre. » Son avocat raconte qu’elle a reçu à son domicile des lettres de menace de mort contre elle et ses enfants: « Parfois, il y a des morceaux de viande dans des sachets en plastique avec un mot ‘La prochaine fois, ce sera ta cervelle’. »

C’est en mai 2008 que Virginie rencontre Georges Tron à sa permanence de Draveil. A l’époque, elle a 30 ans et cherche un emploi. Le parlementaire lui fait passer un entretien. L’occasion de lui parler de sa pratique de « la réflexologie », une technique de médecine alternative fondée sur le massage des pieds. Une semaine plus tard, lors d’un déjeuner, il saisit le pied de la future plaignante et la met sur sa cuisse. Le 14 septembre, Virginie, mère de deux enfants, est embauchée à la mairie de Draveil pour un CDD d’un an.

Des attouchements à la poitrine et une pénétration digitale

Mais les séances de réflexologie tournent mal. Dans son audition, Virginie raconte comment à deux reprises, Georges Tron et Brigitte Gruel, présentée par certains témoignages comme la maîtresse du député, l’ont violée et agressée sexuellement lors de triolisme, « amour à trois ». Selon ses déclarations, la première agression se déroule en 2009 au « château », surnom de la mairie de Draveil. Après une réception, les invités partis, Virginie décrit des attouchements à la poitrine et une pénétration digitale. Le lendemain, elle veut démissionner. L’ancien député refuse. La seconde agression a lieu, selon ses dires, en janvier 2010 au domicile de Brigitte Gruel à l’occasion d’une « réunion d’agenda ». Encore une fois, Virginie subit les caresses du duo d’élus.

La plaignante explique avoir été incapable de s’opposer, piégée par son employeur et tétanisée à l’idée de perdre son emploi. Le 13 avril 2010, elle tente de se suicider en avalant des médicaments et finit par démissionner.

Eva « tente uniquement de survivre »

Comme Virginie E., Eva L. ne s’en est jamais remise. « Depuis six ans, ma cliente tente uniquement de survivre. Elle attend le procès pour se reconstruire », confie à L’Express son avocate Eva Touboul. Entre deux hospitalisations pour des « soucis de santé », n’a jamais repris le travail et est partie vivre en province. « Elle tente de se réinsérer socialement car elle n’avait plus du tout une bonne image d’elle-même », ajoute l’avocate. Relieuse de formation, « elle s’adonne à la sculpture », décrit Léon-Lef Forster, son ancien avocat, qui se souvient de leur dernière rencontre il y a un an et demi, alors qu’elle était hospitalisée « pour une lourde dépression ».

Eva n’a que 32 ans lorsqu’elle rencontre Georges Tron, en 2006, là aussi à la permanence du député. Comme Virginie, elle cherche un emploi. Elle a un projet d’atelier de reliure et trouve une oreille attentive en la personne du maire. Les repas se multiplient. Les massages du pied sous la table également. Face aux enquêteurs, elle concède son besoin urgent de travailler, alors elle se dit qu »‘il n’y a pas mort d’homme ».

En janvier 2007, Eva obtient un emploi en CDD à la médiathèque de Draveil. Une dizaine de rendez-vous s’enchaînent avec Georges Tron et dérivent en viols, selon ses déclarations. L’homme l’a fait attendre sur un fauteuil, verrouille la porte puis, en lui touchant le pied, commence à remonter sa main de plus en plus haut jusqu’à la cuisse. Puis au sexe. Aux policiers, Eva explique que le député prétend chercher son « qi », son centre d’énergie placé le plus souvent entre ses seins. Caresses, pénétrations digitales, une « sorte de rituel » s’installe entre eux. Eva explique accepter ces pratiques « comme s’il s’agissait d’un futur alinéa à son contrat de travail ». « Un scénario classique et pervers du maire », résume-t-elle.

Prouver qu’elle n’est pas « une menteuse »

Quelques mois plus tard, Brigitte Gruel participe à ce jeu morbide qui se répète une dizaine de fois jusqu’en mai 2009, selon Eva, qui s’abandonne comme une « poupée de chiffon ». Elle est « leur sujet », n’opposant aucune résistance. Quand la situation s’envenime, la jeune femme est accusée d’avoir détourné 750 euros pour des achats personnels. Elle est ­licenciée en juillet 2009. Eva sombre alors dans la dépression et tente de se suicider. Puis elle rencontre Virginie, qui se confie à elle. Elles déplorent aujourd’hui avoir dû prouver qu’elles étaient victimes de viols.

Six ans après, la situation des deux femmes « illustre celle de beaucoup de femmes qui portent plainte pour harcèlement ou viol contre un homme haut placé », pense Me Vincent Ollivier. Avec ce procès, sa cliente veut « mener un combat pour elle et les autres femmes qui ont accusé Georges Tron, pour prouver qu’elle n’est pas une menteuse, une alcoolique et une femme facile comme certaines personnes ont pu le dire ». Lors de leurs auditions, Georges Tron et Brigitte Gruel ont quant à eux toujours nié toute relation forcée.

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